le jugement de pâris (jupia)

les yeux rivés sur son écran, jamais fermés. les nombres passent devant eux à répétition. comme un orchestre de musique privée, où les notes s’invitent toutes seules, et dansent entre elles pendant que d’autres jouent un nouveau morceau. mais, hélas, seul le bruit cadansé des doigts du garçon sur son clavier se fait entendre. la salle est sombre, une douce lumière passe par le dessous de la porte pour illuminer, légèrement, le temple du jeune prodige. une autre, moins belle aux yeux des êtres, donne sa teinte au monde. l’ordinateur marche à vive allure, sans arrêt. derrière lui, l’homme fatigue. il n’est pas idiot, au contraire. son travail se doit d’être bien fait, il doit faire une pause. heureusement, le temps se presse pas. le gamin, il arrête. un moment. se détachant du clavier, ce sont à ses yeux de travailler. il relit tout, pour ne pas oublier, savoir où il en est dès qu’il pourra reprendre. les paupières tombent, un instant court mais bien présent. elles soufflent un nouveau jour. alors que le corps du garçon se lève, sortant de son espace. il soupire à son tour. un pas devant l’autre, il marche vers l’extérieur. se baladant dans portland, ville qu’il connaît depuis ses trois ans. aucun secret. ils se font confiances, la ville peut compter sur lui, et lui sur la ville. il se promène. à droite, à gauche. visitant les ruelles dans lesquelles ils s’amusent à courir plus jeune. il ne lève les yeux que très rarement, mais il a le don de choisir le bon moment. elle et lui. il les voit de loin, dans un parc. mais il n’est pas sûr, il ne veut pas l’être. pas pour elle, il est perdu. il ne les quitte pas des yeux, peur de ce qu’il pourrait se passer. il imagine le pire, les idées viennent et repartent comme des voleurs des morceaux de son cœur. il s’arrête en plein rue, hésitant à les rejoindre, mais pour quoi faire ? il ne sait pas, il ne sait rien à ces moments là. il aurait préféré être derrière son ordinateur, faisant des recherches sur cet homme. pas pour elle, jamais sur elle. le temps n’attend pas, le désir prend le dessous sur la raison. il veut savoir. sa marche est déterminée. alors que les deux s’apprêtent à sortir, jupiter les rejoint rapidement. il ne les dépasse pas, non. il ne veut pas croiser le regard de sa belle, pas tout de suite. et ce son, brisé par la colère mais aussi par la peine, est la seule chose qui commencera cette nouvelle danse. « Mia. » une belle chanson débute, mais les paroles risquent d’être d’un autre goût. celui de la vérité.

En ce moment, la saison des ouvertures de restos, de lancements de produits et de présentations de collections bat son plein. Tout semble être un prétexte pour festoyer et trop manger. Pour toi c’est plutôt synonyme de trop de boulot. Parce que, oui, certains mondains aiment bien s’afficher à ce genre d’événements avec des gamines de 19 à leurs bras. Cet après-midi, tu as regardé des filles longilignes défiler en robes de soirée au milieu des petits fours. Et ce soir, tu va au lancement d’une nouvelle boisson. Du beau monde et des cocktails, voilà pour la promesse. Tu as fait des sourires de circonstance et tu as tout fait pour faire tourner ta tête au plus vite. Ça ne fait pas exactement rêver. Tu ne t’es pas particulièrement amusée. Et alors ? Ce n’était sûrement pas le but de toute façon.
L’heure tourne. C’est le moment de rentrer. Monsieur te dépose. Tu es sure qu’il ne va rien tenter avec toi. Il est gay, ça crève les yeux. Tu lui sert d’alibi et ça te va très bien, même si tu trouve ce genre de petit jeu un peu malsain. C’est vrai, il n’a aucune raison de se cacher.
Ton prénom. Sa voix. Rauque, presque brisée. T’as pas forcément envie de te retourner. En fait, si, tu as vraiment envie de te perdre dans ses beaux yeux; mais t’as pas les couilles de l’affronter. Pas la peine de me déposer. Bonne fin de soirée. Les clients payent ton agence à l’avance de toute façon. Tu fais volt face. Il est là. Exactement comme quand tu l’avais laissé. Palpitant qui s’emballe. La faute au stress? Pas seulement. Jupiter... Tu ne sais pas quoi dire, mais t’as du mal à rester muette. Ça va?

c’est comme si le temps ne voulait plus s’arrêter. un vrai traître. les deux amants, ils doivent assumer la vérité. la vie n’est pas une série télévisée, où tout fin bien pour tout le monde, même le connard de la série qui devient un ange. la vie est horrible, quand on ne voit que le mauvais côté. elle était sa lumière, et il aurait préféré devenir aveugle, ébloui par sa puissance, plutôt qu’être abandonné dans la nuit. les mots lui brûlent la gorge, ils sont autant douleurs que ce silence entre eux deux. ou plutôt eux trois. l’homme aux côtés de la demoiselle ne reste pas longtemps, chassée par la joueuse. des phrases qui font lever les yeux au ciel à jupiter, se mordant les lèvres pour ne pas rire d’hypocrisie. et le ciel tombe comme le voile d’un nouveau jour. emportant avec lui le regard de la jeune femme qui se retourne enfin face à sa victime. blessé d’amour, l’une des pires blessures qui ne se soigne pas. son prénom, il lui ressemble d’une banalité en temps normal, mais pas à ce moment. comme si ces lettres n’étaient qu’un souffle de vent passant dans sa nuque. ces secondes sont trop longues, et trop courtes à la fois. ce ne sont que des mirages d’un souvenir heureux. « ça va ? » répète-t-il en espérant trouver une cohérence à cette question. non, rien ne va. lui, il l’aimait. l’amour, c’est beau et le monde en couleurs aussi. et pourtant, il n’a que l’impression d’être un criminel, un hors-la-loi de ses règles. mais ce ne devrait pas être à lui de porter ce rôle, c’est elle, l’assassin de toute cette beauté. elle, qu’il avait aimé. elle, qu’il aime encore. mia. trois simples lettres résonnant à chaque coin de celui qu’elle a tué. prisonnier de ce sentiment qu’il ne peut contrôler, encore moins en face d’elle. il peut bien essayer de lui trouver tous les défauts du monde, son cœur à ses raisons que la raison ignore. « tu me demandes si ça va ? » les syllabes se rejoignent, elles voudraient hurler à la liberté, mais doivent n’être qu’un murmure de leur pensée réelle. « je ne peux me porter aussi bien qu’en ce moment même, vois-tu. » sa voix se tait, elle s’endort pour ne pas porter ce rôle. alors que le silence recommence à régner, il soupire en fermant doucement les yeux. l’échappatoire des siens.

Sa mâchoire carrée, ses yeux sombres pleins de tendresse... Tu as l’impression que ton âme se consume lorsqu’il est là. Une syllabe. Ton prénom, puis le sien. Question débile. Inappropriée. Réponse ironique. T’as honte, comme si on venait de te prendre en train de voler la main dans le sac. T’aimerais que le sol s’ouvre sous tes pieds et te fasse disparaître à tout jamais. T’as choisi de sortir de sa vie. T’as voulu rester un simple mirage pour lui, mais t’as rien d’un phénomène d’optique. T’es là. Blasée par la vie. Par le passé. Et t’as l’impression que si tu ne t’éloigne pas de lui au plus vite tu risques de le contaminer. Lui prendre sa joie de vivre, son innocence. T’es la pomme pourrie dans le panier de fruit. T’aurais tellement de chose à lui dire si seulement il t’écoutait. A lui, tu aurais envie de dire la vérité. Avec lui, tu n’aurais même plus envie de tricher. Avec lui, tu te dis que pour une fois tu pourrais les tenir tes promesses. Mais c’est trop compliqué. Puis même s’il arrivait à te pardonner le fait de lui avoir caché ta double vie, même si il arrivait à passer outre le fait que tu ne sois qu’une sale petite menteuse, tu t’éloigne de lui parce que t’as la frousse. T’aimerais bien vivre d’amour et d’eau fraiche avec lui, t’ouvrir entièrement à quelqu’un pour une fois, mais tu n’y arrives plus. Toute personne que tu laisseras entrer dans ta vie est une personne que tu prendras le risque de perdre un jour. Or ton coeur est déjà assez en mauvais état comme ça, il ne supporterait pas. Tu le fuis parce que t’as indéniablement peur. Pour toi. Pour lui aussi, t’es consciente que tu es une personne toxique. Ta main se crispe autour de la sangle de ton sac. Ses mots t’atteignent de plein fouet. Arrête, s’il te plait... T’as rien d’autre à dire, Mia? Tu baisses les armes aussi facilement? Ça ne te ressemble pas. L’atmosphère est lourd, ton petit coeur est tout serré et tu fuis son regard. T’arrive pas à le regarder dans les yeux. T’es trop embarrassé pour affronter son regard. La situation est particulièrement étrange. Tu es certes en tord, mais tu te sens en position de faiblesse, comme si c’était lui qui t’avait fait du mal. Ta tête bouillonne. Tu... Je te dois sans doute des explications, mais... Mais quoi? Il n’y a pas de mais. Sois courageuse pour une fois Mia. C’était juste un ami... gay en plus. Tu précises timidement.

le monde était un cadeau, donné par un gentil homme. celui que tout le monde trompe derrière son dos pour profiter de sa clémence. un ange sur terre manipulé par les démons originels. il lui a fallu du temps, pour voir à travers le masque de camaraderie des autres. le sablier coulait à un rythme lent, celui du déni. il ne voulait pas y croire, les hommes ne pouvaient pas être aussi égoïstes. il n’osait pas penser une seconde à cette mascarade, elle était trop belle pour être humaine. mais il ouvrit enfin les yeux sur tout ce mensonge. tombant du ciel, sa chute fut belle. tué par les défauts de l’humanité. personne n’est parfait, some like it hot. une phrase qui résume à beau mot les êtres vivants. l’erreur est humaine, pour se rassurer d’en être une ? la cruauté des ces mots, non pensés mais philosophiques est un nouveau jeu. avec elle, il avait cru à la beauté de ce monde. il lui avait tout donné, et il lui aurait donné encore plus jusqu’à l’infini. mais elle n’a pas voulu de lui, préférant fuir puis que dire ces mots qu’il aurait sans doute compris avec le temps. alors qu’aujourd’hui, il ne demande qu’à comprendre sèchement ses raisons. sans son aide, il ne peut pas deviner. sans ses paroles, il se sent sourd. terrifié sans indices, sans vérité. elle demande qu’il arrête. pourtant, il ne le peut pas, il ne le veut pas. une fois que la machine est en marche, la seule solution de l’arrêter est d’en terminer. les chemins se croisent et se séparent jusqu’aux nouveaux départs. tout est fait de hasard, alors que le cauchemar démarre. et si sur cet air de malice se cache un supplice, il ne le montre pas. les faibles ne sont point acceptés dans la lutte pour la liberté, pour la vérité. les maîtres mots sont définis, ainsi les joueurs ne pourront pas se défilés. « oui, tu vois juste. j’aimerais des explications, mais pas seulement. j’aimerais comprendre, connaître tes raisons de partir du jour au lendemain alors que j’étais toujours là, à t’attendre dans ma chambre. elle était si vide sans toi... » le rideau ne tombe pas, il se contrôle. le paxton, c’est encore un gamin. jeune et con comme tout le monde dirait. voyant qu’un seul côté de vie alors que l’autre lui est caché par sa naïveté. « c’était juste un ami ? » ces mots le réconforte un moment, une seconde avant de penser qu’il s’agit d’une simple excuse, un autre mensonge. « un simple ami gay ? tu me demandes de croire ça ? s’il te plaît, mia, trouve de meilleures choses à me dire pour te sauver de la situation que ça. » il se méfie, ne voulant pas tomber dans une arnaque. même si, au fond, il aimerait la croire pour tout lui pardonner et l’embrasser sous les lumières du parc presque vide.